Les ateliers ferroviaires d’Épernay en images

Galerie de photos commentées par Pierre GUY

À bord de la locomotive Crampton (cour des Ateliers, 1947) – © collection P. GUY

À l’ouverture de la ligne, la locomotive Crampton, construite en France sous licence par la Société J.F Cail, tracte les trains de voyageurs avec un minimum d’instabilité. Cette locomotive  demeure une des machines mythiques de la Compagnie. Exposée en Gare de l’Est à Paris, puis à la Cité du Train à Mulhouse, la Crampton n°80 a été rénovée totalement par les Ateliers en 1947.

À bord de la locomotive Crampton (cour des Ateliers, 1947)

L’atelier du Montage, cœur de l’Établissement – © collection P. GUY

Construit à partir de  1894 pour répondre aux besoins croissants de la Compagnie dont le parc de locomotives et de tenders est devenu pléthorique, ce bâtiment -dont la conception a été inspirée par celle des ateliers britanniques de Derby- répond aux exigences d’organisation rationnelle du travail, de logistique et de surveillance des ouvriers. Il mesure 153 mètres sur 26.

L'atelier du Montage, cœur de l’Établissement

De 1874 à 1970, un centre de formation d’apprentis a alimenté les diverses brigades d’ouvriers des Ateliers, particulièrement dans les métiers nobles nécessitant une grande compétence technique : chaudronniers, ajusteurs-monteurs, usineurs, modeleurs.
Issus d’un concours qui privilégie les fils de cheminots, les apprentis ont un emploi du temps chargé où alternent les cours théoriques (20 heures environ par semaine), la formation pratique et quelques heures d’éducation physique. La valeur morale prend une part importante dans le suivi de la formation. Les apprentis débutent leur formation à l’âge de 14 ans et ont le même régime horaire que leurs aînés (48 heures par semaine en 1958, 46 h 30 en 1963).
Les meilleurs apprentis peuvent, après concours, accéder aux Cours Supérieurs d’Apprentissage (à partir de 1925) qui leur permettent d’accéder directement aux postes d’agents de maîtrise.


Apprentis Chaudronniers (1928) – © collection J-C. GUILLAUME

Réalisation d’une chaudière (échelle 1/10) de la locomotive 141 701, prototype construit par les Ateliers en 1930, machine destinée à la traction des rames métalliques de la banlieue Est.

Apprentis Chaudronniers (1928)

Apprentis Ajusteurs-monteurs (1928) – © collection J-C. GUILLAUME

Réalisation du châssis et de l’embiellage de la même maquette. Celle-ci sera exposée dans de multiples foires industrielles (Londres, Liège,…) et se trouve actuellement à la Cité du Train de Mulhouse. Elle fonctionne sur home-trainer à l’air comprimé et témoigne de la qualité de la formation acquise par les apprentis.

Apprentis Ajusteurs-monteurs (1928)

L’essor économique et social de la Ville découle entièrement de celui de la Compagnie de l’Est et de ses grands Ateliers de locomotives. La construction de quartiers complets dédiés aux cheminots, de nombreux bâtiments publics et religieux, le foisonnement de sociétés et d’associations de cheminots, les activités de loisirs et, bien sûr, la politique locale témoignent de cette osmose entre Chemin de fer et Cité tout au moins jusqu’en 1970. Le Négoce des vins de champagne prendra ensuite le relais.


Rotondes du Dépôt (1854-55) – © collection D. THEVENIN

Modèle de référence (grande rotonde « Est ») qui sera reconduit dans divers sites de la Compagnie, la première rotonde est érigée, en 1852, sur les plans des ingénieurs Marinet et Lamar. Elle mesure 45 mètres de diamètre et reçoit 16 voies permettant donc les travaux de maintenance  sur 14 locomotives et tenders simultanément. La seconde rotonde (côté Ouest) sera construite, sur le même modèle, en 1855.

Rotondes du Dépôt (1854-55)

Vue générale (1962) – © collection P. GUY

Avec leurs 13 hectares (dont 4,5 couverts), les Ateliers tiennent une place conséquente au cœur de la Ville, elle-même enclavée dans le vignoble.

Vue générale (1962)

Si certains travaux d’assistance et de manutention ne réclament pas de compétences fortes, beaucoup de travaux industriels réalisés dans les divers ateliers, et ce, quelle que soit la période (vapeur, diesel ou  électrique), demandent des connaissances et compétences professionnelles et techniques de haute qualification. Pendant les  100 ans de la période vapeur, chaudronniers, forgerons, ajusteurs et usineurs constituent la majorité des ouvriers. Leur formation est assurée par le Centre d’Apprentissage puis dans les brigades d’atelier, un jeune étant parrainé et pris en charge par un ancien, expérimenté. Avec la technologie diesel apparaissent de nouveaux métiers qui réclament beaucoup de précision et de réflexion. Si le Centre d’apprentissage continue de préparer les ouvriers dieselistes, la formation et la reconversion des anciens se  font « sur le tas » et en cours du soir. La période électrique, à partir de 1978, amène de nouvelles organisations du travail, avec une parcellisation fine des travaux et une plus grande responsabilisation des ouvriers.
L’activité syndicale, depuis la fin du XIX° siècle, a été très intense au sein des Ateliers. A diverses périodes, des leaders syndicaux se sont dégagés (Jules Lobet, Alcide Benoît, Roger Menu, Robert Morillon) et ont tenu, dans la Ville, un rôle politique majeur.


Sortie des ouvriers (1920)© collection P. GUY

Sortie des ouvriers (1920)

Première grève significative (14 octobre 1910)© collection P. GUY

Déclarée au dépôt de Paris la Chapelle, la grève de 1910 est le premier mouvement social d’envergure qui essaime en province, relayée par des émissaires se déplaçant en automobile. A Épernay, les leaders du Syndicat des Cheminots, à l’initiative de Grandvallet, Pâté et Lobet, réussissent à mobiliser le personnel de plus en plus contraint et surveillé dans les  chantiers par des vigiles extérieurs. 171 ouvriers arrêtent le travail le 14 octobre 1910, à l’issue d’une réunion organisée la veille dans une salle de Magenta. Les leaders sont arrêtés le lendemain matin à leur domicile. La quasi totalité des grévistes sera révoquée dans les jours suivants…

Première grève significative (14 octobre 1910)

Entre 1858 et 1931, les Ateliers ont construit 765 locomotives pour répondre aux besoins de la Cie et pour pallier les insuffisances de  production de l’industrie ferroviaire. 140 transformations profondes, véritables constructions, ont complété les prototypes et séries. Ainsi, ce sont 905 locomotives qui ont été numérotées « Épernay » à leur sortie de fabrication.
Après 1920, la production locale a surtout été réalisée sur les chaînes de modification et de transformation, mais aussi sur la réparation de l’ensemble du parc d’engins et de pièces de rechanges. La transformation des 230 K (machines de vitesse) pour être propulsées au fuel, en 1947, est la  dernière chaîne marquante des travaux vapeur.
À partir de 1951-52, les Ateliers ont la charge de la révision générale des locomotives de manœuvre diesel à moteur lent, dont les célèbres machines américaines Baldwin, livrées en France à partir de 1946.

Ces travaux nécessitent des compétences, chantiers et outillages nouveaux. Cette première et totale reconversion de l’Établissement durera jusqu’en 1980. Pendant cette période, Épernay sera amené à effectuer des travaux différents : indicateurs-enregistreurs, matériel de relevage, par exemple. A partir de 1978 s’effectuera une seconde reconversion de l’ensemble des structures et des personnels, les Ateliers devenant réparateurs de locomotives électriques monophasées. Ces nouveaux travaux impliquent des organisations et connaissances inédites, des procédures sécuritaires et des outillages inhabituels pour le site. Ces travaux, particulièrement sur les machines de la Société Alstom, accompagneront la fin de la vie industrielle des Ateliers. A partir de 2003, cette mission industrielle s’achève progressivement alors que se crée, à l’Ouest, un « Technicentre » chargé d’effectuer la maintenance de type dépôt de l’ensemble des matériels TER de la région Champagne-Ardenne, pérennisant ainsi à Épernay une présence ferroviaire.


Sortie de la 41 001 (25 janvier 1925)© collection P. GUY

Étudiée par les bureaux techniques parisiens de l’ingénieur Duchatel, cette machine polyvalente est, à sa sortie, la locomotive de type 241 (Mountain) la plus puissante d’Europe. Machine de conduite facile et de coût de maintenance réduit, elle est surnommée affectueusement « bœuf » par les conducteurs. Machine mythique de la construction ferroviaire, construite et mise au point par les ouvriers sparnaciens, elle témoigne de la grande compétence de ceux-ci. Ce prototype, devenu en 1938 241 A 1, est une des attractions majeures de la Cité du Train de Mulhouse.

Sortie de la 41 001 (25 janvier 1925)

Locomotive 230 K fuel (vers 1948)© collection AHICF

En 1947, les Ateliers se voient confier la modification des machines de vitesse du Réseau Est : les 230 K. Il s’agit là de les transformer afin qu’elles soient chauffées au fuel à la place du charbon. Ces machines modifiées tractent les « trains drapeaux », fleurons rapides qui relient Paris à Strasbourg en 5h15.

Locomotive 230 K fuel (vers 1948)

Mise sur roues d’une locomotive A1A-A1A 62000 (1965)© Photothèque SNCF

La mise sur roues d’une locomotive consiste à poser la caisse équipée de l’ensemble de ses organes sur ses bogies (« chariots » qui supportent les essieux). Cette opération délicate implique une grande coordination entre les agents du sol et les pilotes des 2 ponts-roulants nécessaires à cette opération. C’est dans l’atelier du Montage que les levages et poses de caisses se sont effectués jusqu’à la fermeture du site industriel.

Mise sur roues d'une locomotive A1A-A1A 62000 (1965)

Depuis 1856, année de création de la première association de la ville (le Secours Mutuel des Cheminots), le « peuple » cheminot a été à l’origine de l’activité associative dans tous les domaines : musique, chorale, sports, solidarité, assistance, orphelinat, syndicalisme et, bien sûr, politique. Les quartiers urbanisés pour les cheminots (Cité Jémot, Hameau de La Villa d’Aÿ, quartier Thiercelin, village de Magenta) sont logiquement les territoires d’accueil des sociétés cheminotes.
Magenta et La Villa d’Aÿ sont constitués à plus de 80% de familles liées au chemin de fer dont l’activité sociale et collective est particulièrement animée.


Chorale des cheminots (1905)© collection J. GONNET

Créée en 1898 à partir d’un noyau de chanteurs chaudronniers, la Chorale des cheminots devient très vite un ensemble choral de haute qualité,  composé d’un effectif pléthorique. Aidée par la société lyrique Le Camélia qui anime chaque semaine le théâtre, la Chorale atteint très vite une grande notoriété, remportant en 1905 le grand concours national de Versailles. Décimée par la guerre 14-18, la Chorale s’étiolera petit à petit, mais sera source de création de l’Harmonie des Chemins de Fer, en 1928.

Chorale des cheminots (1905)

Quelle que soit la technologie des matériels révisés, construits ou transformés par les Ateliers, celle-ci nécessite l’utilisation d’installations, de chantiers et d’outillages fortement dimensionnés.
Pendant 160 ans, les ouvriers des Ateliers ont été confrontés à cet environnement complexe obligeant à mettre en place des organisations et des procédures sécuritaires particulièrement minutieuses.


Marteau-pilon (1904)© collection P. GUY

Avec la construction et la transformation des locomotives à vapeur, l’atelier des Forges est fort sollicité, les pièces et organes en fonte et en acier forgé étant très utilisées. Un forgeron, en général, est assisté de 2 aides pour positionner les pièces à forger, lui pilotant le marteau-pilon avec une grande dextérité. Le travail des forgerons est difficile et physique, s’effectuant dans un environnement surchauffé et poussiéreux.

Marteau-pilon (1904)

Atelier des Roues (1907)© collection P. GUY

L’usinage et le montage des roues, essieux et bandages nécessitent  l’emploi d’une multitude de machines-outils. Une machine à vapeur, située en bout de bâtiment, entraîne l’ensemble de ces machines-outils par l’intermédiaire d’arbres et de transmissions à courroies débrayables. L’atelier est très encombré et particulièrement bruyant.

Atelier des Roues (1907)

Atelier du Montage (1910)© collection P. GUY

Cœur de l’activité industrielle de l’Établissement, l’atelier du Montage reçoit les travaux volumineux obligeant l’emploi de chantiers spécialisés et de moyens de levage puissants et dimensionnés. C’est dans ce secteur qu’on réalise toutes les opérations sur caisses de locomotives, les gros travaux chaudronnés mais aussi, selon les époques, les réparations de gros organes (moteurs diesel, bogies, transformateurs…)

Atelier du Montage (1910)

Atelier du Montage (1974)© collection P. GUY

Avec la révision des locomotives diesel, la physionomie du Montage évolue. Les chantiers sont moins encombrés. La partie Est du bâtiment est alors occupée par les stands de réparation des moteurs diesel. Chaque travée est équipée de 4 ponts-roulants, dont 2 de 60 tonnes de capacité pilotés, depuis une cabine aérienne, par des opérateurs guidés du sol.

Atelier du Montage (1974)

Chantier Bogies (1992)© collection G. FORTECOEFFE

Le nombre de locomotives électriques révisées simultanément à partir des années 1982 implique de réorganiser le secteur de réparation des bogies. Avec l’arrêt de la réparation des moteurs diesel dans le Montage, l’espace est aménagé, côté Sud, pour recevoir un chantier moderne et fonctionnel, organisé autour d’une aléseuse, qui permet d’effectuer dans  les meilleures conditions d’ergonomie et de logistique l’ensemble des  travaux de réparation des bogies.

Chantier Bogies (1992)

Sommaire du dossier « Ateliers ferroviaires d’Épernay »


Pour en savoir plus :

Pierre GUY, Les cheminots d’Épernay, tout un monde ! dossier mis en ligne, décembre 2023
Pierre GUY, Histoire du chemin de fer d’Épernay, éd. Guéniot, 2013