Reportage réalisé par Loïc HERVÉ lors de la visite du site en 2008.
Le département de la Marne est un carrefour de voies d’eau : la Marne, la Vesle, le Canal de la Marne à l’Aisne, le Canal latéral à la Marne, le Canal de la Marne au Rhin, le Canal de la Marne à la Saône.
Toutes ces voies d’eau sont reliées entre elles et nous allons nous intéresser aux deux canaux qui coulent entièrement dans le département : le Canal de la Marne à l’Aisne, le Canal latéral à la Marne, et à leur confluent à Condé-sur-Marne.
Dans un canal, il y a de l’eau. Cette eau s’écoule à chaque écluse et doit être renouvelée. Mais d’où vient-elle ?
Il faut savoir qu’il existe trois types de canaux :
- Le canal de jonction par dérivation relie deux rivières (ou deux canaux) séparées par un relief relativement faible.
- Le canal de jonction à bief de partage relie deux cours d’eau en franchissant le relief qui les sépare appelé la ligne de partage des eaux. Il est alimenté en son sommet par des réservoirs et tout un réseau de rigoles d’alimentation. C’est le cas du Canal de l’Aisne à la Marne, approvisionné en eau par les pompes de l’usine élévatrice de Condé-sur-Marne.
- Le canal latéral suit le cours d’une rivière et est alimentée par elle. C’est le cas du canal latéral à la Marne alimenté par le barrage à aiguilles de Couvrot.
Le Canal latéral à la Marne
La Marne, affluent de la Seine, a toujours été une voie de communication importante pour les marchandises.
Au XVIe siècle, la crise du blé et du bois qui avait sévi à Paris avait encouragé les échanges vers la capitale. Le bois arrivait de Meuse et de Haute-Marne en flottant sur la Marne et la Saulx et était regroupé à Vitry-le-François où l’on organisait des trains de bois, les brelles. C’est l’origine de l’activité marinière dans le quartier du Bas-Village qui, plus tard, a fait de Vitry-le François un important centre batelier.
Ces brelles mesuraient une soixantaine de mètres de long et étaient menées par huit brelleurs. Le voyage durait de deux à trois semaines et les mariniers revenaient à pied en longeant la Marne.
Les bateaux marnois à fond plat ont été utilisés jusqu’au milieu du XIXe siècle. Ils étaient fabriqués à Saint-Dizier, dans le quartier de la Noue, descendaient la Marne jusqu’à Paris où ils étaient généralement détruits.
Les rivières étaient souvent coupées par des barrages, établis pour former des réserves d’eau destinées à la pêche, l’irrigation ou pour augmenter la hauteur de chute pour les moulins. La circulation des bateaux était plus facile car l’eau était plus calme et profonde. Mais il fallait franchir les barrages et on pratiquait des passages, les pertuis, fermés par une porte que l’on ouvrait pour faire passer le bateau. La descente était périlleuse, car très rapide et avec une grande différence de niveau. Le bief était de ce fait vidé et il fallait reconstituer la réserve d’eau, ce qui entraînait de nombreux conflits, notamment avec les propriétaires de moulins qui ne pouvaient plus travailler pendant ce temps.
u début du XIXe siècle, la révolution industrielle va rendre indispensable l’extension du réseau des rivières navigables, seul moyen pour désenclaver l’ensemble des territoires connaissant un grand développement industriel.
Louis Becquey, Directeur Général des Ponts et Chaussées va élaborer en 1821-1822 un programme destiné à achever les canaux entrepris, ouvrir de nouvelles voies d’eau et développer celles qui existent.
Une société privée, la Compagnie Bonvié, va être chargée de financer la construction d’un canal reliant Paris à Strasbourg. L’ingénieur Tourneux s’occupait de la partie du canal traversant la Marne de 1826 à 1829. La Compagnie Bonvié ne réussissant pas à obtenir les autorisations des services publics, les Services de l’Etat vont reprendre cette réalisation à leur compte, chargeant M. Brière de Mondétour du projet.
Le tracé initial devant aller de Saint-Dizier à Port-à-Binson fut raccourci en raison des difficultés de réalisation, au grand dam des maîtres de forges de la Haute-Marne notamment.
Construit de 1836 à 1845, il mesure 67 kilomètres, démarrant de Vitry-le-François pour rejoindre la Marne à Dizy. À partir de là, la Marne est navigable jusqu’à Paris. Il comporte 15 écluses et est utilisé par des péniches de type Freycinet de 250 tonnes. Il traverse la Saulx par le pont-canal de Vitry et utilise les ponts-canaux du Canal Saint-Martin et de Clamart à Châlons-en-Champagne.
Il rejoint le Canal de la Marne au Rhin (construit de 1838 à 1853) et le Canal de la Marne à la Saône (1862-1906) à Vitry-le-François.
Il est alimenté en eau grâce au barrage de Couvrot sur la Marne. C’est un barrage à aiguilles qui régule le cours de la Marne depuis 1870.
Construit en 1870, ce type de barrage a été inventé par l’ingénieur Poiré en 1830. Il est constitué de « fermettes » articulées, reliées entre elles par une passerelle qui traverse la rivière. Chacune d’elles comporte une partie mobile que l’on peut lever ou baisser en fonction du niveau d’eau souhaité. La partie mobile est constituée de poutrelles verticales juxtaposées : les « aiguilles ». Ces éléments doivent être manipulés les uns après les autres, et le relevage et l’abattage des aiguilles est un travail long, pénible et dangereux. Ce type de barrage disparaît progressivement.
Le canal latéral va être très utilisé car il reliait Paris à l’est de la France et permettait la liaison entre les centres miniers du Nord de la France et les régions industrielles de Lorraine et de Haute-Marne. Les coûts de transports des produits manufacturés ont fortement diminué et les maîtres de forges sont très intéressés par ce moyen de transport.
Le Canal de l’Aisne à la Marne
À l’origine, vers la fin du XIXéme siècle, il s’agissait de concevoir une grande rocade fluviale de contournement de la région parisienne par l’est. Elle serait partie du Canal de Briare pour rejoindre le nord en passant par Joigny, Saint-Florentin, Troyes, Vitry-le-François, Reims. Seuls le Canal de l’Aisne à l’Oise et de la Marne à l’Aisne furent réalisés.
Commencé en 1841, le Canal de la Marne à l’Aisne fut mis en service en 1866. Sa réalisation connut de nombreuses difficultés liées au sous-sol. Les pertes par fuites dans le sol calcaire vont obliger à maçonner la majeure partie du trajet entre 1857 et 1861. Long de 58 km, il relie Berry-au-Bac à Condé-sur-Marne, comporte 24 écluses et emprunte le pont-canal de Sillery et le souterrain du Mont-de-Billy.
La voûte du Mont-de-Billy était équipée d’un système de touage constitué d’un câble sans fin accroché à hauteur d’homme sur la paroi. Ce câble était actionné par des machines à vapeurs situées à l’extérieur.
Après la guerre, des tracteurs électriques ont remplacé ce système. Il en reste un exemplaire à l’écluse de Condé-sur-Marne. Il pouvait remorquer un train de 7 péniches à 4 km/h.
Le bief de partage du Mont-de-Billy reçoit de l’eau d’une part par une prise d’eau alimentée par un barrage sur la Vesle à Sept-Saulx et d’autre part par la Marne, à Condé-sur-Marne où a été construite l’usine d’élévation des eaux à partir de 1867.
Lors de sa construction, l’eau arrivait de Châlons par une rigole d’alimentation venant des canaux internes à la ville : Nau, Mau et Canal Louis XII et était pompée à Condé-sur-Marne.
L’usine élévatoire
1- L’usine hydraulique
Cette usine a été réalisée de 1867 à 1869 dans un bâtiment de 60 m x 15 m, d’une hauteur de 13,50 m, sans pilier à l’intérieur.
Elle a d’abord utilisé l’eau qui venait depuis Châlons par la rigole d’alimentation. Cette eau, par le truchement d’une chute de 6,92 mètres de haut, actionnait 5 turbines Koechlin placées en ligne en sous-sol. Elles étaient alignées à 10 mètres l’une de l’autre. Chaque turbine, par l’intermédiaire d’un pignon et d’une roue d’angle, transmettait le mouvement à un arbre horizontal. Des bielles, attachées aux extrémités de chaque arbre horizontal, actionnaient alors des pompes verticales à double effet installées à droite et à gauche de chacune des trois turbines centrales.
Les 6 pompes avaient 0,95 m de diamètre et 1 mètre de course. Elles étaient placées verticalement et entièrement en dessous du niveau d’eau du canal d’amenée, ce qui supprimait l’aspiration.
Ces pompes renvoyaient l’eau par deux canalisations enterrées de 80 cm de diamètre jusqu’à un aqueduc distant de 500 mètres.
L’eau s’élève ainsi de 20 mètres et est amenée par une rigole couverte à l’écluse de Vaudemanges, 7600 mètres plus loin
L’eau en surplus se retrouvait dans le bassin aval et le trop plein était rejeté dans la Marne par gravité. On distingue bien les sorties d’eau et au fond les accès d’évacuations vers la Marne.
2- L’usine diesel
L’eau était prise dans le bassin amont, par une canalisation souterraine, puis après pompage, refoulée jusqu’à une nourrice qui était le point de départ des trois canalisations. Une troisième canalisation d’un diamètre de 110 cm sera mise en service. Il faudra également agrandir la tour de l’aqueduc pour loger cette nouvelle canalisation.
Pour utiliser l’énergie de moteurs, un nouveau bâtiment sera construit entre 1923et 1927. Les pompes seront dorénavant actionnées par des moteurs diesel Sultzer.
À partir de 1933, les péniches vont abandonner la traction animale pour être tirées par des tracteurs. Ceux-ci utilisaient l’énergie électrique produite par l’usine, des groupes turboalternateurs ayant été installés.
L’usine a alors une double fonction : elle pompe de l’eau pour alimenter le Canal de l’Aisne à la Marne, et elle produit de l’électricité, le surplus de production étant utilisé par E.D.F.
3- L’usine électrique
En 1953, on abandonnera le bâtiment construit pour les machines diesel, et on installera des pompes à axe vertical sous le plancher du premier bâtiment actionnées par des moteurs horizontaux. Les turbines seront remplacées par des groupes turboalternateurs et produiront ainsi de l’électricité. La production excédentaire étant utilisée par E.D.F.
Les tracteurs électriques prennent les péniches en charge, notamment pour traverser le tunnel du Mont de Billy, leur alimentation étant assurée par des câbles électriques aériens, dans le style des caténaires.
Les péniches étant de plus en plus équipées de moteur diesel, la production d’électricité va devenir de moins en moins utile et en 1983, E.D.F., qui avait repris l’exploitation de la centrale va fermer l’usine d’électricité. Seules restent dans le bâtiment les pompes qui servaient autrefois mais qui sont maintenant abandonnées.
La rigole d’alimentation venant de Châlons, qui fuyait beaucoup, a été désaffectée et l’eau s’évacue maintenant en amont de l’écluse de Juvigny.
De nos jours, trois pompes électro-submersibles, alimentées par le réseau E.D.F., puisent l’eau directement dans la Marne et continuent à alimenter le bief de partage qui va de l’écluse de Vaudemanges à Sept-Saulx.
L’usine de Condé peut élever 100 000 mètres cubes d’eau par jour dans le bief de partage, soit environ 1200 litres par seconde.
En 1875, on a érigé un aqueduc dans les hauts de Condé pour accueillir les canalisations venant de l’usine de Condé. À l’origine, deux canalisations de 80 cm de diamètre et longues de 621 mètres acheminaient l’eau jusqu’à une tour et de là, une rigole maçonnée et couverte de 7,605 kilomètres de long rejette l’eau dans le Canal de l’Aisne à la Marne à Vaudemanges.