Un nouveau site

Un nouveau site conçu pour utiliser les ressorts industriels imaginés au XIXe s.

L’expression « maison à succursales multiples » s’applique à une entreprise de distribution qui englobe une maison-mère, qui en est le siège social, et des boutiques, les succursales. Un système dans lequel existe une hiérarchie et qui fonctionne en réseau. Au centre, la « Maison » administre et gère. Elle fonctionne avec un établissement de dépôt, qui reçoit les produits, les conditionne et les distribue. Elle est donc intimement liée à un réseau de communications.
Au moment de leur création, les Docks Rémois reprennent comme siège social les locaux des maisons Quentin et Georget ainsi que Raveaux et Théron, rue Chaix d’Est-Ange, à l’angle du Boulevard Louis Roederer, situé à proximité de la gare. Ils disposent de l’épicerie fine de M. Degand, un autre dirigeant, rue de Talleyrand ainsi que d’une usine à vapeur, d’une distillerie et d’entrepôts au 139, rue de Neufchâtel, au-delà des casernes. L’entreprise se consacre essentiellement à la commercialisation de produits courants.

Les Docks Rémois à leur création
Les Docks Rémois à leur création – Livre du quarantenaire des Docks rémois, 1888-1928 – Coll. particulière

Cette structure éclatée ne favorise pas vraiment un fonctionnement rationnel.    
Douze ans plus tard, en 1900, les entrepôts déménagent rue Gosset. Mais l’entreprise a d’autres ambitions et souhaite profiter pleinement des ressorts industriels appliqués depuis quelques décennies dans le secteur de la production.

Vers une production de masse

L’achat en 1905 de 9 hectares 63 ares au petit Bétheny offre des possibilités prometteuses : il va permettre une extension très importante de la surface des entrepôts et une proximité immédiate par rapport au réseau ferré.
Une maison à succursales dispose en effet d’espaces de stockage, d’entrepôts plus ou moins vastes englobant, lorsqu’elle est de taille importante, des lieux de transformation.
La société développe davantage ses activités industrielles de production et de transformation sur ce nouveau site qui lui permet de s’agrandir et de se moderniser. Les plans des futurs entrepôts rue Léon Faucher sont établis par les architectes Hippolyte Portevin, Émile Dufay-Lamy et Émile Deveaux. Une première tranche de travaux fait sortir de terre deux des bâtiments, qui offrent une surface de plancher disponible de 25 000 m², dès 1908. Et un vote de l’Assemblée générale extraordinaire du 30 mai fixe le siège de la société « à Bétheny-Reims, rue Léon Faucher ».
Les travaux durent jusqu’en 1914 pour édifier un ensemble de 50000 m², répartis sur 10 ha, composé de deux bâtiments centraux avec étages, deux bâtiments latéraux avec un rez-de-chaussée seulement, soit quatre bâtiments de 225 m sur 35, par ailleurs prolongés par des halls à charpente métallique ou des bâtiments en béton armé.

Le site après la Grande guerre. Un environnement qui reste à aménager
Le site après la Grande guerre. Un environnement qui reste à aménager – © Archives départementales de la Marne (Reims), 3 FI 454

L’emprise foncière atteint une surface totale de 10 ha en 1928, presque 12 ha en 1932, et s’agrandit encore après la reconstruction de 1945-51, atteignant les 20 ha. Les dernières extensions concernent un nouveau service de fruits et légumes, ainsi que la mercerie, activité dont l’équipement est modifié en 1968.

Le site vers 1960
Le site vers 1960. Familistère – Docks Rémois, entrepôt de Bétheny – Brochure éditée par l’imprimerie de l’entreprise en 1961 – Coll. particulière

Dans les maisons à succursales, l’essentiel du travail consiste en manutention pour conditionner des petites quantités dans des sachets, paquets, bouteilles… Seules quelques grandes sociétés se tournent vers la fabrication, ce qui est le cas des Dock Rémois.
Le volume des quatre bâtiments principaux permet d’avoir recours à une mécanisation poussée qui permet une production de masse.
Par exemple, dans l’atelier dédié au café, on traite 12 tonnes de grains par jour en 1931. Les sacs de 60 kg passent d’abord au contrôle, puis le café, trié par qualité, part au moyen d’élévateurs pneumatiques vers des silos. Une fois les dosages effectués, les mélanges passent à la torréfaction, à 250° environ. Après avoir transité par un épierreur, les grains sont propulsés dans des canalisations pneumatiques vers des silos de stockage, au 2e étage. Pour la phase finale du conditionnement, l’emballage, le café est déversé dans les trémies des ensacheuses-peseuses.
Autre production importante : la charcuterie. Celle-ci est organisée en calquant les principes des abattoirs industriels américains où les opérations commencent à l’étage supérieur.

Les différentes opérations à la charcuterie (années 1920)
Les différentes opérations à la charcuterie (années 1920) – Livre du quarantenaire des Docks rémois, 1888-1928 – Coll. particulière

Le service traite 70 porcs par jour au début des années 30 et plus de 2000 par mois dans les années 50. Les animaux partent avec un monte-charge vers le 3e étage, sont conduits par un couloir vers le « piège » où ils sont assommés, passent sur la table de saignée, à la cuve à échauder, sont grattés et vidés puis fendus en deux. Après l’inspection vétérinaire, les quartiers partent en chambre froide. Un porc reste moins de 20 minutes au 3e étage. Dans la salle de découpage au 2e étage, on effectue la répartition entre saloir, triperie, fondoir et viandes fraîches.
Le travail des viandes est rapide : par exemple, un poussoir automatique réalise un kilomètre de saucisses calibrées en une heure. Un hall de 300 m² abrite les appareils de cuisson (marmites basculantes, fours à vapeur, étuves électriques) et on y confectionne des pâtés-croûte.

Le rinçage des litres (années 1920)
Le rinçage des litres (années 1920) – Livre du quarantenaire des Docks rémois, 1888-1928 – Coll. particulière

La centralisation des produits finis est faite au 1er sous-sol, à 12 ° : on y réalise le conditionnement, l’étiquetage, la préparation des commandes, qui partent par des transrouleurs vers une chambre froide.
Des productions énormes sortent quotidiennement des autres services : trois tonnes de pain, quatre de beurre …
La mécanisation ne sert pas que les activités de production ; elle s’applique également à beaucoup d’opérations, de nettoyage ou d’acheminement en interne.
Ainsi les marchandises sont traitées méthodiquement et rapidement.

Un transporteur de caisses (années 1920)
Un transporteur de caisses (années 1920) – Livre du quarantenaire des Docks rémois, 1888-1928 – Coll. particulière

Certaines activités restent cependant essentiellement manuelles : c’est notamment le cas dans certaines opérations de contrôle, comme le mirage des œufs, ou d’emballage comme pour le café, le chocolat et le beurre. Il est évident que la préparation des commandes s’effectue alors en employant beaucoup de main d’œuvre, essentiellement féminine d’ailleurs.
De ce fait, le nombre d’employés qui s’élève à 2000 en 1931 a presque doublé depuis 1914 (1284 salariés à l’époque à l’entrepôt). Il faut en effet satisfaire un million de consommateurs par jour.

La connexion au réseau de communication

Par ailleurs, la société a misé sur un nouveau mode de communication, le rail, pour satisfaire ses besoins en matière de rapidité des transports.
C’est pourquoi elle a choisi de s’implanter à proximité des voies ferrées de la Compagnie des chemins de fer de l ‘Est. Dès 1913, elle dispose de 2,242 km de voies internes, installées entre les bâtiments, bordées de quais et raccordées au réseau de la Compagnie.

Le raccordement particulier aux chemins de de la Compagnie de l’Est (années 1920)
Le raccordement particulier aux chemins de de la Compagnie de l’Est (années 1920) – Livre du quarantenaire des Docks rémois, 1888-1928 – Coll. particulière

Le trafic de l’année 1914 s’effectue grâce à 32 000 wagons par lesquels transitent 120 000 t chargées ou déchargées. Le chemin de fer prime sur les transports par véhicules hippomobiles.
Le réseau interne dépasse les 4 km après 1932 et il est électrifié.

Le quai central d’expédition (années 1920)
Le quai central d’expédition (années 1920) – Livre du quarantenaire des Docks rémois, 1888-1928 – Coll. particulière

Après la Seconde guerre, le rapport rail-route s’inverse : en 1957, les 70 gros porteurs et 49 camionnettes de l’entreprise assurent presque les trois quarts du trafic total.
Les équipements garantissent donc une livraison rapide et très régulière des différents produits achetés aux plans local, régional, national et mondial, seulement conditionnés (mercerie, produits frais, liquides…) ou transformés sur place (chocolaterie, charcuterie, boulangerie, services des cafés…).


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