La fondation des Docks Rémois : une adaptation nécessaire face à de nouvelles forces de consommation
Avant le milieu du XIXe siècle, la création des « grands magasins » a déjà bouleversé le commerce de proximité, mais le système des maisons à succursales multiples imaginé ensuite va, en s’appuyant sur de nouvelles techniques commerciales et sur le transport ferroviaire, bousculer bien davantage le monde de la distribution, jusque dans les campagnes.
Reims devient en quelques décennies le « berceau du succursalisme », un « modèle » imité rapidement sur la plus grande partie du territoire français. Cette capitale de la laine, ville dynamique qui triple sa population entre 1840 et 1910, connait une effervescence politique et revendicative qui aboutit à la naissance d’associations ouvrières comme les mutuelles de prévoyance, un mouvement qui renait après la période de l’Empire autoritaire.
L’ouvrier tisseur Étienne Lesage qui, dès 1852, a imaginé un système d’achat à crédit et de revente au comptant à ses adhérents, dans son propre logis, de produits alimentaires de première nécessité, obtenait ainsi des remises chez les fournisseurs, système qui satisfait une clientèle de jeunes ouvriers. Il ouvre ensuite un premier magasin appelé Coopérative d’Alimentation Établissement Économique, à l’angle des actuelles Place du Forum et rue Colbert. Il imagine ensuite de regrouper dix-sept sociétés mutuelles, qui bénéficieraient de ristournes en fin d’année ; un regroupement qui donne plus de poids à cette nouvelle force de consommation. L’entreprise, devenue les Établissements Économiques des sociétés mutuelles de la ville de Reims en 1866, dispose vers 1880 d’une trentaine de succursales.
Cependant, en raison du manque de capitaux disponibles dans les sociétés mutuelles, cette structure perd dès les années 1860 son caractère philanthropique ; l’appel à des capitaux privés, pour une part qui s’élève à 50 %, et l’actionnariat changent sa nature : les Établissements Économiques deviennent une société anonyme, de type capitaliste, malgré les avantages dont continuent à bénéficier les acheteurs qui peuvent également détenir des parts de l’entreprise. La société est pourtant récompensée en 1877 par la médaille d’or au concours de la Société industrielle de Reims qui distingue « une institution […] de nature à aider d’une manière efficace à l’amélioration morale et matérielle des ouvriers de la ville ». Et elle figurera à l’Exposition universelle de 1900 dans la section Économie sociale.
Quoi qu’il en soit, d’autres acteurs du commerce ont compris l’intérêt de cette expérience et vont la copier, mais avec une organisation capitaliste choisie et des possibilités qui permettront un développement à l’échelle nationale, d’autant que l’évolution du droit d’association sous la IIIe République facilite la constitution de ces nouvelles sociétés.
Le 1er janvier 1888, cinq grossistes de Reims (Quentin, Georget et Descubes, Raveaux et Théron, Degand, Collet-Roger) s’associent pour fonder les Docks Rémois, une société anonyme, créée pour 30 ans selon les statuts. Et « pour profiter du prestige que ceux-ci s’étaient assuré, on tenta de donner le change et l’on baptisa les succursales du nom évocateur de Familistère » affirme Paul Gemälhing1. La société dispose d’un capital initial de 1,2 millions de francs. Les Docks Rémois ravitaillent alors des épiciers détaillants et quelques succursales, déjà baptisées « Familistères Rémois » appartenant à la maison Quentin et Georget, deux des fondateurs.
En 1897, les 7 fondateurs, qui sont les administrateurs, détiennent 1030 actions des 1400 distribuées sur un total de 69 actionnaires. Cette prépondérance ira en s’atténuant avec le temps : en 1921, les actionnaires sont au nombre de 997.
Rapidement, ces innovateurs sont imités par d’autres épiciers en gros et il ne reste plus, à Reims à la fin du XIXe siècle, qu’une association d’épiciers indépendants : la Société rémoise de l’épicerie fondée en 1885.
La Société Docks Rémois se développe, après des débuts hésitants, à une vitesse impressionnante, et finit par devenir le géant du succursalisme alimentaire dans la moitié nord de la France. Un géant qui rayonne grâce à 1500 succursales avant la Seconde Guerre mondiale et 2000 points de vente deux décennies plus tard.
Sommaire du dossier :
- La fondation des Docks Rémois : une adaptation nécessaire face à de nouvelles forces de consommation
- Un nouveau site conçu pour utiliser les ressorts industriels imaginés au XIXe s.
- Des bâtiments pensés en fonction de la stratégie d’intégration verticale
- Un nouveau siège social en plein centre-ville de Reims
- Des points de vente normalisés
- Une relation originale à la clientèle
- Un patrimoine à défendre
- Bibliographie. Pour en savoir plus…
- Galerie photos de la visite « mercredi de l’APIC » d’octobre 2018
- Entretien avec Maryse Baudson et Alain Rollinger dans l’émission France Bleu Midi du 29/11/2017
- Paul Gemälhing, La concentration commerciale sans les grands magasins, Les sociétés rémoises d’alimentation à succursales multiples, Revue d’économie politique, 1912 [↩]