Par Jean-Louis Humbert
Les effets de l’ingénierie sociale des patrons bonnetiers troyens, très limités des années 1850 aux années 1930, sont cependant réels en matière d’éducation (orphelinat Poron, écoles des manufactures Hoppenot, Poron et Couturat, École française de bonneterie). Dans la campagne auboise, là où existe une industrie au village, le patronat se préoccupe aussi de l’instruction, comme à Clairvaux (forges), Plaines (tréfilerie), Bayel (verrerie) ou Fontaine-les-Grès (bonneterie).
Dans cette dernière localité, la municipalité doit répondre à l’accroissement de la population scolaire – le hameau des Grès passe du statut de relais de poste à celui de chef-lieu réel du fait de l’essor de l’usine de bonneterie Doré-Doré (DD) qui y est installée – et aux nécessités de la salubrité de sa maison d’école. Manquant de ressources, elle quémande des secours auprès de l’État ou obtient l’aide de la famille Doré. Celle-ci témoigne, à un siècle d’intervalle, du paternalisme charitable de Jean-Baptiste Doré puis de la politique sociale d’André Doré. L’un et l’autre sont soucieux d’offrir à leurs employés et à leurs enfants, des conditions d’existence satisfaisantes afin de les maintenir au village et d’assurer la bonne marche de l’entreprise.
I. DD et la maison d’école de Fontaine
En 1842, la commune de Fontaine échange avec Jean-Baptiste Doré, messager en bonneterie depuis 1818 et fondateur de l’entreprise Doré-Doré, la maison d’école existante contre une autre maison destinée au même usage. Elle reçoit diverses améliorations entre 1862 et 1892 et enfin, en 1899, un logement d’instituteur, financé en partie par Philippe Saint-Ange Doré.
1. Une nouvelle maison d’école due à Jean-Baptiste Doré (1842)
Une nécessité
En 1839 et 1840, le conseil municipal de Fontaine et le sous-préfet de Nogent constatent que l’école existante, située dans la grande rue, est une vieille maison couverte en paille composée d’une chambre à feu, d’une petite chambre à côté et d’une petite écurie, le tout en mauvais état. Elle partage la cour et le puits avec un voisin. Bâtiments, jardin et dépendances occupent environ 21,1 ares. Le besoin de salubrité impose de reconstruire cette maison d’école vétuste. Le local est trop étroit pour le nombre des enfants admis. Sa situation dans un lieu bas et humide, où l’air extérieur arrive difficilement, le rend inhabitable. Il est très éloigné du hameau des Grès qui fournit à l’école les deux tiers des élèves et, pendant la mauvaise saison, quand les chemins sont difficiles, plusieurs enfants ne peuvent s’y rendre.
La commune n’a pas de ressources, mais la libéralité de l’industriel Jean-Baptiste Doré, maire de Fontaine et membre du conseil d’arrondissement, offre un moyen de sortir de cette impasse. En 1839, celui-ci consent, dans l’intérêt de la commune, pour le bien des enfants et la satisfaction des habitants, à faire échange, contre la masure abritant l’école, d’une bonne maison, d’y faire les travaux nécessaires pour y tenir les classes et y bien loger l’instituteur. De plus, cette maison est plus rapprochée du hameau des Grès.
La maison proposée par Doré est couverte en tuile, récente, solide et bien exposée, située sur la grande rue au bout du village, du côté des Grès. Elle consiste en deux chambres à feu, quatre cabinets, un puits, une grande cour, un jardinet et des dépendances de 16,98 ares, compris l’emplacement des bâtiments. Pour les WC, un lieu convenable existe derrière la maison. Par acte privé du 9 mai 1840, Doré prend en charge les travaux d’appropriation du local : suppression de la cloison qui sépare les deux cabinets du levant de la chambre attenant pour n’en faire qu’une seule pièce, remplacement de cette cloison par une poutre qui supportera la ferme, ouverture de deux fenêtres et fourniture des croisées avec volets, pose d’une porte dans le mur à côté de la cheminée pour communiquer dans la classe et ouverture d’une porte de communication dans le grenier, pose d’un carrelage dans les deux chambres en carreaux des Valdreux, fourniture de tous les matériaux et de la main d’œuvre. Le 9 mai 1840, Jean Michaut, maître charpentier à Saint-Mesmin, et Pierre Seunnon, maître maçon aux Grès, établissent le procès-verbal des travaux à réaliser. Pour le sous-préfet de Nogent, ce bâtiment remplit le vœu de la loi sur l’Instruction publique et offre toutes les garanties de durée et d’appropriation désirables. Il estime que l’avantage est incontestable pour la commune et que Jean-Baptiste Doré, dans cette circonstance, s’est acquis des droits à la reconnaissance des habitants.
Des problèmes à résoudre
Le premier d’entre eux relève de la légalité de l’échange proposé. Dès le 31 octobre 1839, le préfet de l’Aube demande au ministre de l’Instruction publique si Doré peut, en tant que maire, faire un échange ou une vente avec la commune. En février 1840, il se demande si la commune ne devrait pas vendre aux enchères puis acquérir la maison Doré, la loi prohibant en effet les ventes et échanges de la commune au maire. Mais, selon lui il n’y a pas ici de réciprocité et la commune peut acquérir du maire comme d’un autre particulier. Pourtant, le 1er juillet 1840, le sous-préfet transmet au préfet la démission de Jean-Baptiste Doré de ses fonctions de maire. Cette mesure tend à satisfaire l’obligation, que le préfet a fait connaître, « de ne traiter que comme particulier avec la commune à moins qu’il ne fût fait une vente publique aux enchères de l’immeuble cédé par Doré ».
Le second problème relève de la présence de garçons et de filles à l’école. Le 15 novembre 1840, l’inspecteur des écoles donne son avis sur l’échange envisagé. Il l’apprécie car la maison sera mieux appropriée à sa destination, mais souhaite des précisions sur la salle de classe, pour laquelle des cloisons séparatives ne sont pas mentionnées, et regrette l’oubli des lieux d’aisances. Réuni le 22 janvier 1841, le conseil municipal vote 70 francs pour les lieux d’aisances et 20 francs pour la cloison séparative des deux sexes. Le 29 novembre 1841, le ministre de l’Instruction publique réclame deux sièges aux WC du fait de la présence d’enfants des deux sexes et précise qu’une séparation est nécessaire. Le 22 janvier 1842, Jean-Baptiste Doré s’engage à la faire réaliser.
L’échange, acté le 27 novembre 1841, est autorisé le 11 septembre 1842 par ordonnance de Louis-Philippe 1er. La commune peut enfin céder à Jean-Baptiste Doré son ancienne maison d’école (1500 francs) et recevoir en échange, moyennant une soulte de 4000 francs, une autre maison (5500 francs). En octobre 1842, les travaux que Doré a pris à sa charge pour approprier à sa destination la maison cédée, sont exécutés. Tous les objets composant le mobilier, tables, bancs, tableaux, poêles, sont transportés de l’ancien au nouveau local qui peut accueillir les élèves.
Des crédits à trouver
Dès le 22 mars 1839, le conseil municipal de Fontaine se penche sur le financement de l’échange proposé par Jean-Baptiste Doré. Épuisée par les sacrifices faits pour l’église et le presbytère, la commune ne dispose que de 2000 francs. Il lui manque une somme équivalente qu’elle demande au comité supérieur d’instruction primaire de l’arrondissement de Nogent-sur-Seine. Le 7 mai 1839, ce dernier soutient la demande auprès des autorités, mais il ne peut obtenir que 1000 francs. Il faut recourir à une imposition supplémentaire. Le 17 octobre 1839, le sous-préfet de Nogent annonce au préfet de l’Aube qu’il a fait préciser au conseil municipal de Fontaine le montant de l’imposition votée pour cinq années. Selon lui, tout va bien pour expédier cette affaire, objet de toute la sollicitude du député Demeufre qui va appuyer la demande de secours, « ce qui doit achever l’œuvre de bien commencée par Jean-Baptiste Doré ».
En fait, les choses traînent en longueur. Le 1er juillet 1840, après la démission de Doré de ses fonctions de maire, le sous-préfet de Nogent réexpédie le dossier au préfet de l’Aube et sollicite son appui pour la demande de secours recommandée par le comité supérieur de l’arrondissement. En guise de réponse, le préfet demande au sous-préfet la régularisation d’une délibération du conseil municipal de Fontaine au motif qu’elle est imprécise sur les impositions… alors que ce dernier a voté 2350 francs d’imposition extraordinaire, à recouvrer de 1843 à 1849 (2000 francs auxquels s’ajoutent 350 francs d’intérêts).
En octobre 1842, la commune demande 1000 francs de secours pour subvenir aux frais d’acquisition de la nouvelle maison d’école. Le préfet intervient auprès du ministre de l’Instruction publique qui les lui accorde le 7 mai 1842. Il obtient aussi 400 francs sur les fonds départementaux de 1843. La municipalité dispose donc des 2000 francs votés en 1840, auxquels s’ajoutent 1400 francs de subventions. Le 8 novembre 1842, le conseil municipal vote une imposition extraordinaire de 600 francs recouvrable en 1848 (399 francs) et en 1849 (300 francs) pour couvrir le déficit. En janvier 1844, le maire de Fontaine réclame encore au sous-préfet de Nogent les 400 francs de secours accordés en 1842, et reportés sur 1843, afin de pouvoir acquitter les dépenses du budget de 1843.
2. Une maison d’école améliorée
Par la suite, la présence des Doré au conseil municipal leur permet d’influencer les décisions, notamment d’urbanisme et de construction, tout en demeurant proches des préoccupations de la population en matière d’instruction. Laurent Doré, fils et successeur de Jean-Baptiste Doré, est conseiller municipal avant de devenir maire en 1870. Philippe Saint-Ange Doré, son successeur, est conseiller municipal en 1896, adjoint en 1900 puis maire de 1908 à 1931.
Attentifs aux travaux menés à l’école, les Doré se préoccupent aussi des écoliers et de leur moralité. En 1876, Laurent Doré lègue par testament une rente annuelle et à perpétuité de 60 francs pour acheter des livres de prix « tous les ans aux vacances aux enfants des deux sexes les plus méritants de l’école laïque de la commune ». Il souhaite que cette distribution soit faite par une commission de cinq membres comprenant le maire, l’adjoint, un membre de la famille Doré, le curé et l’instituteur. Il désire que le jour de la distribution des prix, l’instituteur conduise les élèves sur sa tombe « afin de leur rappeler que c’est là que repose celui qui leur offre des prix ». La préfecture autorise ce legs après la disparition de Laurent Doré en 1881.
Des travaux de reconstruction en 1854
En 1853, le recteur – titre donné à l’inspecteur d’académie à cette époque – juge que la maison d’école de Fontaine est dans un tel état de dégradation qu’il y a urgence de procéder incessamment à sa totale reconstruction. La classe n’est pas assez vaste, ni assez saine pour recevoir le nombre d’enfants qui la fréquentent. Elle a 40 m2 de surface et 2,50 mètres de hauteur pour contenir 80 élèves, alors que le nombre des enfants tend plutôt à s’accroître qu’à diminuer. Le logement de l’instituteur est également jugé insuffisant. Le recteur estime que les inconvénients qui pourraient en résulter sur la santé du maître et de ses élèves sont certains et reconnus. Il signale cet état de choses à l’autorité municipale et l’invite à entreprendre une construction annexe afin d’assurer un service correct de l’instruction publique. L’ancien local est conservé pour abriter la salle de mairie et le logement de l’instituteur.
Le 8 mai 1853, le conseil municipal, pour faire face au devis de 4803,23 francs, vote 2400 francs d’imposition sur 8 ans et 308,23 francs de crédits. Il demande un secours de 2100 francs car la commune est déjà obligée de s’imposer extraordinairement tous les ans pour ses besoins ordinaires. Le préfet lui répond que l’État ne donnera qu’un quart – 1202,06 francs – à moins de voter une imposition plus forte de 898 francs supplémentaires. Le 12 juin 1853, la commune vote une nouvelle imposition extraordinaire.
En août 1853, l’inspecteur primaire de l’arrondissement de Nogent donne son accord au projet de nouvelle classe : « La construction projetée, quoique restreinte dans les limites d’une sévère économie, réunit toutes les conditions désirables de convenance et d’utilité au service auquel elle est affectée ». En septembre 1853, le conseil académique exprime le même avis, mais demande l’installation de WC visibles par l’instituteur et séparés pour filles et garçons. L’architecte nogentais Alfred Poncy conserve les WC sur avis du conseil municipal, mais dresse un nouveau plan dont le devis atteint 402,08 francs. Le 23 octobre 1853, le conseil municipal vote 188,66 francs pour les WC, correspondant à l’excédent de l’exercice de 1853, et demande un nouveau secours de 213,42 francs pour abonder les ressources nécessaires.
Le 29 janvier 1854, le conseil municipal apprend que le ministre de l’Instruction publique lui accorde 1200 francs sur les 2313,42 francs de secours demandés. Il lui reste à trouver 1113,42 francs. Afin de réaliser des économies, il renonce à l’établissement de nouveaux lieux d’aisances. Les 402,08 francs votés pour les WC le 23 octobre 1853 sont déduits des 1113,42 francs à trouver. Reste un déficit de 711,34 francs pour lequel la commune demande un secours départemental équivalent. Le 24 février, le préfet répond qu’il veut bien accorder un secours de 500 francs, qui s’ajoute au secours de 1200 francs de l’État, à condition que le conseil municipal vote les ressources nécessaires pour la construction des WC.
Le conseil municipal, qui souhaite ouvrir la nouvelle classe à l’occasion de la rentrée scolaire de 1854, décide de vendre aux enchères publiques une pâture et un terrain pour combler le déficit, vente autorisée par le sous-préfet en mai 1854. Elle procure 1000 francs auxquels s’ajoute un secours départemental de 100 francs. Le procès-verbal de réception définitive des travaux est dressé le 12 octobre 1854 par Appolinaire Mariotte, entrepreneur à Fontaine, et l’architecte Alfred Poncy. Le décompte des travaux fait apparaître une dépense de 4730,24 francs, y compris les lieux d’aisances.
En 1855, le conseil municipal vote l’installation d’une cloche à l’école afin d’appeler les enfants à la classe du matin et du soir et d’éviter à l’instituteur d’aller sonner à l’église deux fois par jour. La pose de la cloche de 19,5 kilos et d’une girouette sur le faîtage de la maison d’école est réalisée par Mimard, maréchal aux Grès, sur les plans de l’architecte Poncy. La somme nécessaire aux travaux (185,35 francs) est votée sur le rabais de l’adjudication de la reconstruction de la salle d’école.
Des compléments apportés de 1862 à 1892
En 1862, la municipalité fait construire un bûcher à la maison d’école pour l’instituteur qui jusque-là entrepose son bois dans le grenier. La loi du 15 mars 1850 fait en effet obligation aux communes de fournir un logement convenable à l’instituteur… Face au devis de 553,76 francs, le conseil municipal constate que l’imposition votée en 1854 arrive à échéance, mais que la dépense pour l’école ayant été réglée et soldée en 1861, il dispose du dernier terme de l’imposition, soit 300 francs. Il vote un prélèvement du restant de la somme sur l’excédent définitif de l’exercice 1861. Adossé à la mairie, le bûcher est édifié par Gabriel Nerret, maçon à Saint-Mesmin. Il sert aussi de remise pour abriter des outils appartenant à la commune.
En 1873, Bazot, maçon aux Grès, effectue des réparations à l’école et au logement de l’instituteur qu’il faut assainir. Pour faire face à la dépense prévue de 161 francs, le conseil municipal vote 50 francs et demande 111 francs de secours. Il ne reçoit que 61 francs et doit ajouter 97,85 francs pour régler la facture qui atteint en réalité 158,85 francs.
En 1883, le conseil municipal de Fontaine décide de travaux d’appropriation à la maison d’école pour un montant de 900 francs. Il demande une subvention d’État de 332,34 francs et vote 372,26 francs au budget. La commission départementale alloue 200 francs en 1884. Les 132,34 francs restants sont pris en charge par le budget supplémentaire de la commune.
En 1887, un asile est construit derrière l’école pour les indigents traversant la localité. L’inspecteur primaire s’y oppose puis accepte puisque les mendiants arrivent après la classe et partent avant son début.
En 1890, une clôture en fer est établie à la cour de l’école. La clôture existante est en effet totalement détruite et les enfants ne sont plus en sûreté. Le devis atteint 370 francs pour lequel la commune demande 170 francs au Conseil général avec le soutien de l’inspecteur d’académie. Elle dispose de 100 francs sur son budget de 1890 et de 100 autres francs qui n’ont pas été dépensés, le terrain pour le logement de la pompe à incendie ayant été offert. Le département n’allouant que 85 francs, le déficit de 85 francs est prélevé sur la plus-value de la vente des prés de 1890.
En 1891-1892, les fenêtres de la salle d’école, en très mauvais état, sont renouvelées. Pour couvrir la dépense de 532,20 francs, le conseil municipal vote 300 francs au budget de 1891 et obtient 200 francs du Conseil général avec l’appui de l’inspecteur d’académie et du sous-préfet. Le déficit de 32,20 francs est prélevé sur la plus-value de la vente des prés de 1891.
3. Un logement décent pour l’instituteur (1896-1900)
En 1895, le conseil municipal de Fontaine constate que la maison d’école, « de construction très ancienne, ne présente pas toutes les garanties désirables au point de vue de l’hygiène » et que « l’exigüité des pièces ne permet pas à l’instituteur de s’y installer convenablement ». Il décide la reconstruction du logement et souhaite savoir à quelle hauteur il pourra être subventionné avant de prendre une résolution définitive. Le ministre de l’Instruction publique lui fait connaître que la commune ne pourra être aidée que sur le chiffre maximum de 12000 francs fixé par la loi du 20 juin 1885 pour la construction de l’école elle-même. Il ajoute que si la commune veut plus tard faire des travaux à l’école, elle ne pourra plus être subventionnée car elle aura atteint déjà la limite. Il estime qu’elle a donc intérêt à réduire le chiffre de la dépense.
Un projet jugé trop dispendieux
Le 12 janvier 1896, Félix Bouton, architecte troyen très actif à la fin du XIXe siècle, présente au conseil municipal son projet et son devis de 13325,20 francs. L’exposé des motifs revient sur la gravité de la situation. « La maison d’école comprend un bâtiment à rez-de-chaussée très ancien contenant l’habitation de l’instituteur et la mairie et une annexe faisant saillie sur le corps principal de construction plus récente, destinée à la classe. La partie affectée à l’instituteur contient une salle à manger cuisine de trois mètres de largeur, une chambre à coucher de bonnes dimensions, un cabinet et une vinée. En raison de l’insuffisance et de l’insalubrité de ce logement, le conseil municipal en avait en principe décidé l’amélioration et l’agrandissement conformément au programme ministériel. Son architecte fut alors invité à se rendre sur les lieux. Après un examen des plus minutieux, il a été reconnu que l’instituteur ne pouvait continuer à être logé semblablement, que toute adjonction pour rendre convenable et suffisante son habitation ne remplissait pas le but que l’on se proposait d’atteindre parce que, vu l’état complet de vétusté de ce bâtiment, les modifications et les réparations à faire étaient impossibles, que d’ailleurs, la dépense serait certainement plus élevée que celle qu’entraînerait une construction nouvelle à laquelle il fallait procéder sans retard. En présence de ces constatations, le conseil municipal en entier a manifesté le désir de voir faire quelque chose de confortable et de durable. »
Le projet de Félix Bouton établit la façade du nouveau bâtiment parallèlement à la rue et laisse en avant une cour d’environ quinze mètres. « Au rez-de-chaussée se trouvent une salle à manger et une chambre à coucher. Ces deux pièces sont séparées par un vestibule au fond duquel l’escalier est placé. Au premier étage les dispositions sont les mêmes. La cave n’existe que sous la moitié de la construction, la descente des tonneaux est à l’ouest sous la fenêtre, la descente journalière sous l’escalier principal. Deux bûchers sont adossés à la façade nord. Les cabinets d’aisances sont reconstruits à l’emplacement des anciens et sont divisés en trois compartiments. »
Félix Bouton prévoit pour la construction les matériaux qu’il utilise habituellement pour l’édification d’édifices publics ou d’habitations privées dans l’agglomération troyenne : pierres d’Étrochey, de Cérilly, de Châtillon et de Plaines ; briques de Sommeval, Torvilliers et Bucey.
Le 10 février 1896, le conseil municipal approuve le devis de Félix Bouton et renouvelle sa demande de subvention. Le 9 avril 1896, il prend connaissance de la réponse du ministre de l’Instruction publique du 21 mars 1896 concluant à la nécessité de modifier un projet jugé trop coûteux. Après avoir entendu les explications de Félix Bouton, il estime que le projet est conforme aux prescriptions du décret du 25 octobre 1894 et maintient sa délibération du 10 février 1896.
Le 25 juin 1896, l’inspecteur d’académie Rémond se félicite du projet. Il fait cependant des observations : le nombre des cabinets destinés aux élèves est réduit à deux ce qui est insuffisant pour 60 enfants des deux sexes. Il regrette l’absence d’urinoirs, d’autant plus utiles pour les petits garçons que le nombre des cabinets est restreint. La dépense lui paraît par ailleurs un peu élevée et il suggère des économies tout en demandant cependant une subvention aussi élevée que possible. Le 21 juillet 1896, le conseil municipal entend ce rapport et celui de la commission des bâtiments civils du Conseil général, réunie le 4 juillet 1896. Il réaffirme que la dépense n’est pas exagérée car les pièces doivent être vastes et leurs murs édifiés en matériaux de qualité. Il maintient deux cabinets, mais accepte de faire construire deux urinoirs.
Le 20 juin 1897, le conseil municipal apprend que le ministère n’a pas retenu la demande de subvention, ses crédits étant déjà totalement engagés. Il réagit en rappelant que le logement de l’instituteur est insuffisant pour sa famille, qu’il est malsain et qu’il n’a été l’objet d’aucune réparation depuis environ 12 ans. De surcroît, ses fenêtres sont dans un tel état de vétusté qu’il est impossible de les ouvrir pour aérer. Elles ne peuvent pas résister aux vents violents du nord-est, et, pour se garantir du froid, leurs fissures doivent être calfeutrées avec des bandes d’étoffe. Le 5 juillet 1897, le sous-préfet de Nogent-sur-Seine insiste auprès du préfet de l’Aube pour qu’il appuie auprès du ministère la demande de subvention de la commune.
Une construction et un règlement aidés par Saint-Ange Doré
Le 2 mai 1898, le devis est enfin approuvé par le ministre de l’Instruction publique qui alloue 9060 francs de subvention. Le 19 mai 1898, le conseil municipal délibère sur les ressources. Il doit trouver 4265 francs (13325 moins 9060 francs). Le conseil accepte la proposition de Philippe Saint-Ange Doré qui offre d’avancer la somme au taux de 3 % remboursable en 20 ans à partir de 1899 jusqu’en 1918 au moyen d’une annuité de 291,49 francs produite par une imposition extraordinaire de 7,65 centimes que le conseil vote à cet effet. Il se réserve le droit de se libérer par anticipation si la situation financière le permet. Le 2 juin 1898, Saint-Ange Doré accepte ces clauses et s’engage à verser 4265 francs dans la caisse du receveur municipal le 1er janvier 1899. Le 21 juin 1898, le préfet de l’Aube confirme l’octroi de la subvention ministérielle. L’adjudication des travaux a lieu le 23 juillet 1898. Ils sont réalisés par Alphonse Bourbon, entrepreneur de maçonnerie, 14, rue des Terrasses à Troyes.
La maçonnerie du bâtiment principal coûte 5127,57 francs. Le socle est réalisé en roches de Plaines et d’Étrochey, en briques et en pierre de Cerilly. L’élévation utilise la pierre de Brauvillers, la brique, les pierres d’Étrochey et de Plaines. La couverture (tuiles violon, jouées de lucarne en ardoises, faîtages, arêtiers et épis en terre cuite) repose sur une charpente de chêne et bois blanc. Le coût de l’ensemble atteint 1767,07 francs. L’installation des parquets (sapin, bois blanc, chêne), des menuiseries (volets, plinthes, portes) et de l’escalier revient à 2606,75 francs. Les travaux de plâtrerie, de marbrerie (trois marbres), de fumisterie (pierre d’évier, carreaux faïence), de serrurerie, de peinture et vitrerie, de papiers peints représentent une somme de 2559,05 francs
Le bâtiment des WC abrite trois sièges à la turque. Il est réalisé en pierres de Châtillon et d’Étrochey et en briques. Les travaux de maçonnerie, de plâtrerie, de menuiserie, de serrurerie et de peinture atteignent 706,86 francs. Ceux de couverture en vieilles tuiles sur charpente de chêne et bois blanc atteignent 75,18 francs. L’édification du bûcher coûte 717,73 francs et celle de la pompe, réalisée en maçonnerie d’Étrochey, 311,26 francs.
Le règlement des dépenses engagées est compliqué par la faillite de l’entrepreneur Bourbon en décembre 1898. En août, le conseil délibère. Il s’est engagé à verser des fonds à Bourbon au fur et à mesure des travaux. Le budget de l’État n’étant pas voté au moment où la construction était pour ainsi dire terminée, un mandat de 3000 francs ne pouvait être servi à la commune, d’où la réclamation pressante de l’entrepreneur par cinq lettres datées des 5, 8, 10, 12 et 29 avril par lesquelles il menace de poursuivre cette dernière si elle ne tient pas ses engagements. La municipalité fait intervenir Saint-Ange Doré. Le 28 juin 1899, celui-ci avance à l’entrepreneur, sans aucun intérêt, la somme de 3000 francs. Il est remboursé par la commune le 18 décembre suivant.
En octobre 1900, après réception définitive du nouveau logement, il reste 2384,58 francs à payer. Le conseil municipal décide de faire face à la dépense, ainsi qu’à celle de 569,83 francs qui reste due à l’architecte, de la manière suivante : 1060 francs de reliquat dû par l’État, 2400 francs provenant de fonds libres portés au budget supplémentaire. Ces recettes de 3460 francs couvrent le total des dépenses de 2954,41 francs.
Un dernier problème reste à résoudre. En juin 1899, l’entrepreneur Bourbon a fait transport d’une somme de 2000 francs, à prendre sur ce que la commune lui devait encore, à Henri Mathias Poron, industriel et propriétaire, 23 boulevard du 14 Juillet à Troyes. Apprenant en janvier 1902 que Bourbon est en liquidation judiciaire, le conseil décide de verser le reliquat de 2384,58 francs à la Caisse des dépôts et consignations. En avril 1902, il est informé de l’instance de Henri Poron contre la commune, mais aussi d’un rapprochement entre les personnes ayant intérêt à une solution : Henri Poron, Terré (ancien receveur municipal de Fontaine-les-Grès), le syndic, les créanciers privilégiés de la faillite Bourbon et Saint-Ange Doré. Les créanciers veulent bien se contenter des sommes encore libres sur les fonds affectés au paiement des travaux dus à Bourbon, soit 2384,58 francs. Saint-Ange Doré et Terré s’engagent à mettre chacun 500 francs à disposition de la commune à charge pour elle de solder la créance de Henri Poron et de les garantir contre tous recours de la part des créanciers de Bourbon. Poron consent une réduction de 400 francs sur sa créance. Le conseil accepte l’arrangement et vote 1300 francs pour faire face, avec les 1000 francs de Saint-Ange Doré et Terré, au paiement de la créance Poron. La transaction est entérinée par le préfet le 30 mai 1902.
II. DD et le groupe scolaire des Grès
Au cours des années 1920, la maison Doré accorde toujours une grande attention aux écoliers de Fontaine-les-Grès. André Doré, s’inscrivant dans la tradition instaurée par son aïeul Laurent Doré, offre la majorité des récompenses lors de la distribution des prix de fin d’année scolaire de l’école communale. Cette manifestation se déroule dans la salle des fêtes mise gracieusement à la disposition de la municipalité par la société Doré. Les voitures de l’entreprise sont prêtées pour les promenades instructives des écoles.
1. L’éducation et les besoins de l’entreprise
La création d’un cours professionnel puis d’un jardin d’enfants autorise la formation des futurs employés de Doré-Doré et soulage le personnel féminin de l’usine.
Cours professionnel
Depuis 1926, l’école de Fontaine accueille un cours d’orientation professionnelle, d’une durée de 3 ans, destiné aux jeunes de la commune, âgés de 14 à 18 ans. André Doré souhaite en faire des ouvriers spécialisés et des employés compétents. Le cours hebdomadaire est assuré par l’instituteur du village rétribué spécialement par l’entreprise. En première année, les élèves étudient l’outillage industriel, la mécanique, les moteurs, l’électricité, les chemins de fer. En deuxième année, le programme comprend technologie commerciale et industrielle, chimie, engrais, matériaux, métaux, combustibles, textiles et céréales. En troisième année, il aborde la théorie commerciale, la comptabilité, l’arithmétique commerciale, les banques et le droit. À la fin de chaque année, une récompense est attribuée aux élèves ayant suivi assidûment ces cours, sous la forme d’un voyage instructif dans des chantiers ou des unités de production. Si nécessaire, des conférences données par des spécialistes sont organisées, complétées par des projections de films instructifs. Chaque fois qu’une conférence intéressante est donnée le soir à Troyes, une voiture de l’entreprise est mise à la disposition des élèves des cours professionnels afin qu’ils y assistent.
Jardin d’enfants
En 1929, un jardin d’enfants est ouvert aux garçons et filles âgés de trois à cinq ans dans les locaux de la pension Sainte-Marthe, quand les ouvrières célibataires qui y sont hébergées par l’entreprise Doré-Doré en sont absentes. Les bambins sont reçus tous les après-midis, sauf le dimanche, de 13h15 à 18h30. Les enfants plus âgés y viennent en garderie après la sortie de la classe du soir. Une cotisation mensuelle de 3 francs est demandée aux parents. Chaque jour, à 16h30, un goûter est distribué. Cette œuvre, créée pour les enfants du personnel, est ensuite étendue par l’usine à tous ceux de la commune. Avec succès, puisqu’il faut attendre 1986 pour qu’ouvre une école maternelle.
De surcroît, des cours de musique et de chant sont donnés régulièrement par un professeur appointé par l’usine et des leçons particulières sont proposées aux enfants du personnel. Les jeunes filles qui le désirent apprennent la couture et la coupe. Les cours sont sanctionnés par une exposition des travaux effectués dans l’année.
L’existence de ce jardin d’enfants, d’une garderie pour les jeunes scolarisés dans le village et d’un patronage de vacances, qui fonctionne depuis 1929 pour les filles et les garçons en août et en septembre, facilite l’emploi féminin.
2. La construction d’un groupe scolaire (1928-1931)
Philippe Saint-Ange Doré et André Doré sont les instigateurs de la fondation d’un groupe scolaire dont la taille correspond enfin aux effectifs à scolariser d’une commune dans laquelle leur entreprise joue un rôle économique et social considérable.
Une adaptation aux besoins
Par arrêté du 1er janvier 1922, une deuxième classe enfantine est créée à l’école de Fontaine pour recevoir les enfants à partir de deux ans. Par arrêté du 14 septembre 1926, une école mixte à deux classes, dont une enfantine, est créée aux Grès, par transfert de l’école de même nature du chef-lieu de la commune. L’inspecteur d’académie constate en effet que « la population de Fontaine-les-Grès, qui possède une forte usine de bonneterie et est à proximité de la gare de Saint-Mesmin, s’accroit de jour en jour ». De fait, le hameau des Grès, partie industrielle de la commune, se développe sans cesse et en devient le centre, alors que Fontaine, partie agricole, reste stationnaire. L’inspecteur ajoute que « l’effectif à scolariser augmentera certainement rapidement, surtout si l’on tient compte que les avantages pécuniaires accordés aux familles nombreuses attirent dans ce village des familles de 3, 4, 5 et 6 enfants ».
L’école existante ne peut plus faire face aux besoins. Les deux classes, installées dans l’ancienne salle de classe unique qui a été séparée en deux salles égales par une simple cloison vitrée, ont chacune une surface de 38 m2 et un volume d’air de 135 m3 représentant une capacité maximale totale de 55 places. Il est matériellement impossible de les agrandir. Sur les 125 enfants qui devraient fréquenter l’école, 46, dont 20 de 4 à 5 ans, ne peuvent le faire faute de place. Sur ce chiffre de 125 élèves, 95 habitent le hameau des Grès et 30 seulement habitent Fontaine. La plupart des enfants des Grès doivent faire 7 km par jour pour se rendre en classe. L’état sanitaire de l’école est déplorable en raison du surnombre des enfants admis (82 élèves pour 55 places) et parce que l’une des deux classes est très malsaine, froide et très humide, ouverte au nord seulement. Les travaux projetés sont donc de première urgence.
Durant l’été et l’automne 1926, le conseil municipal réfléchit à l’implantation de cette deuxième école. Il penche un moment pour un emplacement très central aux Grès, voie de Blives, près des jardins ouvriers Doré-Doré, car certains de ses membres pensent que l’agglomération va se développer en direction de la gare de Saint-Mesmin. L’emplacement n’est pas retenu et, le 23 janvier 1927, le conseil municipal décide de fixer le groupe scolaire au lieu-dit Le Pourceau Pendu, à mi-chemin entre les Grès et Fontaine, assez loin de l’école du chef-lieu.
Il faut désormais acquérir les deux terrains nécessaires à la construction. L’un des propriétaires, Eugène Nemons-Dollat, refuse de vendre ce qui retarde la réalisation du projet, la municipalité devant engager les formalités d’expropriation pour utilité publique. Le 21 juin 1927, le conseil municipal vote 15 800 francs pour les frais d’acquisition : 7500 francs à Eugène Nemons-Dollat, y compris les frais d’expropriation, pour un champ de 25,56 ares ; 6000 francs à Aline Collot-Chaumont pour un champ de 27,41 ares, et 2300 francs de frais. Il décide d’un emprunt à 6 % remboursable en 30 ans, et d’une imposition extraordinaire de 25 centimes 5 dixièmes additionnels au principal des 4 contributions.
Le 15 novembre 1927, la construction du groupe scolaire est déclarée d’utilité publique et le 28 décembre 1927, un arrêté préfectoral désigne la parcelle Nemons-Dollat comme nécessaire à la réalisation du projet. Le 1er février 1928, Saint-Ange Doré intervient auprès du préfet pour lui demander de faire accélérer la procédure d’expropriation. « Le retard de cette construction est fort préjudiciable aux habitants de la commune. 1° Les classes sont surchargées d’élèves, il y en a une trentaine en plus que le nombre prévu, soit pour l’emplacement, soit pour le cube d’air. 2° L’instituteur est obligé de refuser les enfants qu’on lui présente et qui, par leur âge ont droit à leur entrée. Cette situation dure depuis trop longtemps et les réclamations des familles sont nombreuses ». Nemons-Dollat est exproprié le 11 février. En avril 1928, son locataire, Laurent Aristide, reçoit 500 francs d’indemnité d’éviction.
Un beau projet à financer
L’auteur du projet est Fernand Scalliet, architecte parisien concepteur de nombreuses habitations destinées au personnel de l’entreprise Doré-Doré – dont celle d’André Doré – et du monument aux morts du village. Pour l’inspecteur d’académie (5 avril 1928), et pour le comité mixte chargé de l’examen des constructions scolaires de l’enseignement primaire (24 mai 1928), le projet satisfait aux exigences des instructions les plus récentes et les dépasse même sur quelques points. Les classes sont claires et suffisamment vastes ; les annexes sont bien comprises. Les logements dépassent largement le minimum fixé par le décret de 1894, les cours sont spacieuses. L’inspecteur loue en outre l’architecte d’avoir songé à réserver un local aux œuvres post scolaires. Il n’a aucune critique à formuler sauf pour l’emplacement des WC contigus à la salle de classe, car la circulaire du 3 janvier 1928 interdit de les placer sous le préau, et à plus forte raison à l’extrémité d’un couloir. Le comité mixte demande un conduit dans chaque salle de classe en cas de panne du chauffage central, le dédoublement de l’appartement de fonction si les instituteurs des deux classes veulent loger sur place, une communication couloir/WC et une protection de l’accès extérieur de ces derniers par une marquise ou un auvent. En dépit de ces remarques, le comité mixte attribue au projet le premier rang de classement pour les demandes de subvention devant ceux de Saint-Parres-aux-Tertres, Romilly-sur-Seine, La Chapelle, Barberey, Buchères, Racines, Brienne, Saint-Lyé, Macey et Mesnil-Lettre.
Le 29 février 1928, le conseil municipal approuve les plans et l’emplacement de l’école, sollicite une subvention de 80 % de la somme totale (840 024 francs), décide un emprunt de 167 000 francs et une imposition extraordinaire pour en assurer le service, et s’engage à inscrire chaque année et pendant 30 ans un crédit de 1% de la dépense de construction pour l’entretien de l’immeuble. En octobre 1928, la Direction de l’enseignement primaire informe le préfet que le coût de l’école est trop élevé : la dépense normale ne devrait pas excéder 450 000 francs pour une commune comme Fontaine-les-Grès. Fernand Scalliet modifie alors son projet par suppression du porche d’entrée, du garage, de l’atelier de travail manuel, des portes à coulisses du préau, du réservoir d’eau, de la ventilation, du chauffage central de l’appartement de l’instituteur et de deux pièces du dit appartement. Les dépenses sont réduites de 85 854 francs ce qui ramène le coût à 752 000,30 francs.
Le 26 novembre 1928, le conseil municipal adopte le projet modifié et opte pour un financement par une subvention d’État et par l’emprunt. En janvier 1929, le comité des constructions scolaires de l’enseignement primaire approuve à son tour le projet et fixe à 600 000 francs la dépense sur laquelle sera calculée la participation de l’État. Le 16 mars 1929, le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts accorde 480 000 francs de subvention. Un arrêté préfectoral du 12 juillet 1929 autorise un emprunt communal de 270 000 francs.
Le 1er juin 1929, André Doré prête ces 270 000 francs à la commune. Le 12 juillet 1930, il lui abandonne 150 000 francs. Le 16 juillet 1930, le conseil municipal accepte à l’unanimité cette somme et, « profondément touché de ce geste désintéressé, exprime à M. André Doré sa profonde et vive reconnaissance pour cette nouvelle preuve de générosité en faveur de la commune ; décide que tous les membres du conseil municipal iront ensemble faire une visite officielle au généreux donateur pour lui exprimer de vive voix, au nom des habitants de Fontaine-les-Grès toute la gratitude du conseil municipal, décide de plus que la copie intégrale de la présente délibération restera affichée à la mairie ». Grâce à la générosité du patron bonnetier, la commune n’a plus que 120 000 francs à payer. Elle remboursera 90 000 francs par anticipation sur le reliquat des recettes établies (97 950, 23 francs) et 30 000 francs sur 28 ans à 3 % à partir de 1932.
Une construction rapide
Depuis 1928, vu l’urgence, Philippe Saint-Ange Doré et l’inspecteur d’académie pressent le préfet d’intervenir auprès du ministre afin d’obtenir l’autorisation de commencer les travaux avant l’attribution de la subvention d’État, et l’approbation du projet pour pouvoir faire l’adjudication.
Le 6 avril 1929, le maire, Philippe Saint-Ange Doré, fait procéder à l’adjudication de la construction du groupe scolaire. Les terrassements, la maçonnerie, le béton armé et la charpente sont attribués à l’entreprise Germain Boyron à Compiègne (363 000 francs), la serrurerie, la quincaillerie, la ferronnerie, les grilles et grillages le sont à Eugène Berthier à Nogent-sur-Seine (64 500 francs), la menuiserie et les parquets à J. Briant & fils à Romilly-sur-Seine (59 500 francs), la couverture à Georges Pargeas à Troyes (21 700 francs), la peinture, la vitrerie et les tentures à René Adam à Ervy-le-Châtel (28 485 francs) et l’installation électrique à Eugène Vurpillat à Troyes (18 220 francs). En août 1929, le conseil municipal traite de gré à gré pour la plomberie (12 000 francs, Pargeas, Troyes), la fumisterie et la marbrerie (5150 francs, Vve Burta, Troyes) et la fourniture de mobilier scolaire et de matériel d’enseignement (5600 francs, Delagrave, Paris).
Camus, ingénieur du service vicinal, est désigné par le préfet pour surveiller les travaux. Le 28 octobre 1929, il constate que les murs extérieurs du bâtiment, le mur de clôture sur rue, le préau en béton armé et les cloisons à l’intérieur sont achevés. Les jointoiements extérieurs et le crépi sont en voie d’exécution. La charpente et la couverture en tuiles sont terminées. Les fers des planchers, les fenêtres, la distribution d’étage et le châssis du WC sont posés. Les travaux suivent les plans et utilisent les matériaux indiqués au devis.
Les travaux avancent bien, laissant espérer une réception en avril 1930 ce qui est urgent attendu que l’école actuelle, comptant 85 élèves, a refusé l’entrée à plus de 15 enfants. De fait, le 28 avril 1930, l’ingénieur Camus confirme que les travaux de maçonnerie, charpente, couverture, serrurerie, installations électriques, chauffage central et distribution d’eau sont terminés et que ceux de menuiserie et de peinture sont en voie d’achèvement. Seuls restent à exécuter le grattage et le nettoyage des parquets ainsi que quelques retouches de peinture. Le nivellement des cours à l’avant et à l’arrière des bâtiments est presque achevé. L’épandage d’une couche de gravier reste à exécuter sur les remblais. Aucune malfaçon n’apparaît dans les constructions et les travaux sont exécutés conformément aux prévisions. Des rideaux pare soleil sont installés dans les classes (1 500 francs pour la toile, 1500 francs pour les ferrures et la pose des rideaux par la Maison Adnot à Méry-sur-Seine) et le branchement électrique est réalisé par la Société Lyonnaise.
Cependant, les subventions d’État tardent à arriver. Le 20 décembre 1929, le préfet sollicite du ministre de l’Instruction publique le versement d’un acompte sur la subvention allouée par l’État. Le receveur municipal, ayant déjà payé les 270 000 francs de l’emprunt communal, refuse en effet d’honorer les demandes d’acomptes des entrepreneurs, lesquels menacent d’arrêter leurs travaux. Début janvier 1930, le ministre débloque 302 720 francs, puis 81 280 francs en juin. Le solde de 109 615 francs sera versé à la commune en novembre 1931.
Le nouveau groupe scolaire est inauguré le dimanche 27 juillet 1930. Le cortège des notables et de tous ceux qui ont participé à la construction pénètre dans la nouvelle école où les hautes fenêtres projettent à l’intérieur air et lumière en quantité. Il découvre les larges couloirs, les salles de classe spacieuses et, au premier, une salle des fêtes, ainsi que les appartements des instituteurs. Il constate que le tout est construit d’une façon moderne et pratique pour que les enfants et leurs maîtres y trouvent d’excellentes conditions d’étude et de travail, ainsi que tout le confort moderne. André Doré reçoit le titre de bienfaiteur de la commune de la part du conseil municipal et est décoré de l’ordre des Palmes académiques par le préfet.
Reste à régler la question de la fermeture du préau, ouvert à tous les vents, dont la clôture avait été prévue puis supprimée pour diminuer la dépense. C’est chose faite durant l’été 1931, la commune obtenant du ministère de l’Instruction publique une subvention de 13 615 francs pour couvrir la dépense de 18 000 francs. Le 11 septembre 1931, le conseil municipal peut approuver le procès-verbal de réception définitive des travaux et le décompte général (654 050,07 francs).
3. Le transfert de la mairie au nouveau groupe scolaire (1932)
En 1931, la population du village atteint 770 habitants, dont 173 à Fontaine et 597 aux Grès. Dans ces conditions, le transfert de la mairie du chef-lieu communal de Fontaine au hameau des Grès, où elle est aménagée dans une salle inoccupée du nouveau groupe scolaire, est approuvé le 28 septembre 1932.
Les Grès l’emportent
Le transfert fait débat dans la population. Lors de l’enquête de commodo et in commodo alors réalisée, 245 habitants s’y déclarent favorables, 41 s’y opposent. Au conseil municipal, les conseillers de Fontaine sont contre.
Déjà en 1926, les cinq conseillers de Fontaine ont fait pression sur les cinq conseillers des Grès pour que le groupe scolaire ne soit pas construit dans le milieu de l’agglomération des Grès sur la route nationale, mais entre l’agglomération de Fontaine et celle des Grès. Les conseillers des Grès craignant que, faute d’enfants plus tard, on ferme la classe de Fontaine veulent, de cette façon pouvoir envoyer leurs enfants au nouveau groupe scolaire. Ils relèvent que si autrefois il était possible de distinguer d’une façon très nette l’agglomération de Fontaine de celle des Grès parce qu’elles étaient séparées par un espace non construit d’environ un kilomètre, la chose est impossible maintenant, la route reliant les Grès à Fontaine étant entièrement construite, et, de cette façon, Fontaine et les Grès ne font plus qu’une seule et même agglomération.
Les agriculteurs de Fontaine s’opposent au transfert. « Les habitants de Fontaine qui sont, pour la plupart, cultivateurs, sont fréquemment appeler à consulter les documents cadastraux qu’ils ont intérêt, par suite, à voir maintenir à leur portée ; l’élément agricole, qui constitue le fonds stable de la population, serait défavorisé au profit de l’élément industriel, si la mairie était transférée en dehors de l’agglomération de Fontaine, le hameau des Grès possédant déjà le bureau de poste et la régie. » André Doré, dans sa lettre du 21 juin 1932 répondant à l’enquête de commodo et in commodo, est farouchement partisan du transfèrement.
La distribution des prix à l’école ou chez Doré-Doré ?
Le 26 juillet 1932, le transfert de la mairie amène la protestation écrite d’une douzaine de pères de famille auprès du sous-préfet de Nogent-sur-Seine. Ils demandent l’annulation de la délibération du conseil municipal du 11 juillet qui évoque la distribution des prix qui doit être présidée par le docteur Armbruster, sénateur de l’Aube. « Cette distribution aurait lieu dans le local habituel mis gracieusement à la disposition de la municipalité par la Société Doré et fils. Si, il y a quelques années, il pouvait paraître normal de faire la distribution des prix dans un local privé, il n’en est plus de même depuis le nouvel aménagement des locaux scolaires et nous nous refusons dans ces conditions à envoyer nos enfants recevoir leurs prix dans un local privé. » Ces parents demandent la distribution des prix aux élèves dans leur école et par leur maître. Peut-être s’agit-il aussi de refuser le triomphe total d’André Doré dans cette affaire qui voit le hameau industriel des Grès l’emporter sur l’ancien chef-lieu rural.
Une opposition existe à ce propos au sein du conseil municipal : quatre conseillers s’opposent à la volonté de la majorité de réunir les enfants de Fontaine et des Grès chez Doré aux Grès et de ne remettre les prix qu’aux élèves présents, ce qui risque à leurs yeux de défavoriser les enfants de Fontaine. Le sous-préfet suggère, en accord avec l’inspecteur primaire, que l’instituteur de Fontaine reçoive aux Grès les livres de ses élèves absents pour les leur remettre au dernier jour de sa classe.
Conclusion
L’attention portée à l’école s’inscrit dans la politique plus large menée par l’entreprise Doré-Doré en faveur de son personnel. Après la Grande Guerre, l’ingénierie sociale d’André Doré entend répondre aux attentes de son personnel pour éviter qu’il ne se laisse séduire par un mouvement ouvrier qui s’affirme en milieu urbain (cf. l’exemple de Troyes, où la gauche emporte la mairie).
Sa stratégie combine plusieurs volets : protection de la santé et de la vieillesse, création de commerces et de logements, organisation des loisirs. Ce qui change avec lui, c’est une plus grande prise de conscience de la question du logement, avec l’intervention de nouveaux paramètres, notamment le souci de la vie privée. Les habitations qu’il propose démontrent de réels progrès dans leur conception avec une cuisine séparée, une chambre pour les enfants et un endroit où l’on se lave, qui n’est pas encore la salle de bain, mais qui en fait fonction. Il s’agit de loger, mais aussi d’éduquer, au sens le plus global et le plus noble du terme. L’entreprise ne se contente pas d’accueillir les enfants en bas âge : elle initie les mères à la puériculture, propage l’enseignement ménager, et encourage les maisons les mieux tenues. Elle ne se contente pas de garnir une bibliothèque : elle accueille des conférences et des pièces de théâtre, suivant un programme éducatif précis. Les hommes sont rassemblés autour du bricolage et du jardinage. Mais le jardin n’est plus uniquement l’appoint à un maigre salaire. Il devient aussi jardin d’agrément, et des concours récompensent les plus beaux jardins fleuris. À l’ouvrier modèle succède le modèle de la petite bourgeoisie.
Par-delà la stratégie patronale, il s’agit aussi de convictions quant à l’avenir du pays. André Doré porte une grande attention à la famille. Le commerce qu’il crée pour les habitants des Grès se nomme d’ailleurs le Familia. Par sa politique de loyers attractifs et de développement des services propres à soulager les mamans qui travaillent, il encourage les familles nombreuses afin, certes, d’assurer le recrutement futur au sein de son entreprise, mais aussi pour participer à la construction d’une France démographiquement forte face à son voisin allemand. André Doré, s’il est, comme ses prédécesseurs, proche du clergé de Fontaine-les-Grès, se retrouve cependant dans les principes moraux défendus par l’école laïque car ils concourent, certes, à la paix sociale dans le village, mais aussi parce qu’ils contribuent à la formation de futurs citoyens responsables. En témoigne le discours qu’il prononce en 1930 en réponse à l’adresse de l’instituteur Gondy, lors de l’inauguration du nouveau groupe scolaire. « En agissant comme je l’ai fait, j’ai tout simplement obéi à ce que me dictait mon cœur, très attaché à ce petit pays, où je suis né, où j’ai fait mes premiers pas, où j’ai appris à lire. Et c’est précisément de ce que j’ai acquis dans cette vieille école devenue trop petite, que j’ai voulu faciliter l’éclosion de nouvelles classes où de jeunes générations viendront non seulement s’instruire, mais surtout former leurs cœurs pour devenir et rester de braves petits Français, sous la direction de maîtres que je souhaite toujours aussi dignes de porter ce nom que vous. » Les liens perdurent après la Seconde Guerre mondiale. En 1950, Pierre Fort, instituteur au village et adepte des méthodes Freinet, utilise ainsi l’exemple de l’entreprise Doré-Doré pour rédiger un numéro de la Bibliothèque de Travail consacré à la bonneterie. C’est seulement après 1968 que ces liens s’atténueront progressivement.
Jean-Louis Humbert, APIC
Président honoraire des Amis du Musée aubois d’histoire de l’éducation
Article paru dans les Cahiers aubois d’histoire de l’éducation, n° 35, juillet 2011, p. 2-17.
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Sources : Archives départementales de l’Aube
- 2 O 1518, Échange entre la commune et Jean-Baptiste Doré de la maison d’école actuelle avec une autre maison destinée au même usage (1839-1849).
- 2 O 1519, Construction d’un groupe scolaire (1928-1931).
- 2 O 1520, Construction d’un asile derrière l’école pour les indigents traversant la localité (1887).