Un aspect méconnu de l’œuvre de Jacques SIMON

Un dossier de Jean-Pierre Marby (APIC, Société des Amis du Vieux-Reims)

Jacques Simon, Phades (Ardennes), huile sur panneau de bois
Jacques Simon, Phades (Ardennes), huile sur panneau de bois, signée en bas à gauche Jac[ques] S[imon] R[eims], non datée, située en bas à droite, 24 X 16 cm. (Coll. Part.).

Jacques Simon (1890-1974) est avant tout connu comme maître verrier. Pendant une soixantaine d’années, il a restauré les verrières anciennes de la cathédrale Notre-Dame de Reims. Jacques Simon a créé également pour cet édifice des roses avant la Deuxième Guerre mondiale et le fameux vitrail du champagne en 1954. Il a œuvré également à la basilique Saint-Remi de Reims et dans une kyrielle d’église de la région.

On doit à Jacques Simon également des vitraux civils d’une très grande qualité. Son premier vitrail est réalisé au cours du deuxième semestre 1909 ou au début de l’année 1910. Il est à peine âgé de vingt ans… Un cliché édité en carte photo fournit une reproduction noir et blanc de l’œuvre et des informations imprimées. Au Salon de 1910, Jacques Paul Simon -comme il se fait appeler à l’époque pour éviter une homonymie avec un peintre déjà reconnu et de quinze ans son aîné- présente un vitrail exécuté dans les ateliers de Pierre Paul Simon, son père, à Reims. L’œuvre est signée en bas à droite. Elle s’intitule « La première stupeur du roi des airs ». Un coup de maître d’une extrême modernité pour une première réalisation… Ce vitrail présente une vision du ciel très décalée, très surprenante. Le spectateur se situe dans la cime d’un arbre. Dans la partie basse à droite, un aigle bec ouvert est installé sur une branche portant des fleurs. L’aigle est intrigué. Il regarde au-dessus de lui dans les nuages un monoplan qui vrombit et qui laisse derrière lui une trainée de petits nuages. L’allusion est évidente. La Grande semaine d’aviation de la Champagne a lieu fin août 1909 à Bétheny à l’initiative du marquis Melchior de Polignac. Une deuxième grande semaine d’aviation de la Champagne se tient début juillet de l’année suivante. En 1912, l’aquarelliste rémois Eugène Auger (1847-1922) place un biplan dans sa représentation de l’hôtel du Lion d’Or sur le parvis de la cathédrale de Reims. La foule le regarde et salue (Collection SAVR).

Outre ce thème de l’aviation abordé avant la Première Guerre mondiale, Jacques Simon va s’intéresser à la fin des années 1920 à l’imprimerie et aux sports automobiles. En 1926, Jacques Simon réalise un vitrail d’une puissance saisissante pour le siège du quotidien régional châlonnais L’Union républicaine. Trois poteaux télégraphiques, des fils suspendus, trois roues de rotatives d’imprimerie et la Une du journal évoquent l’édition de ce quotidien régional. En 1928, pour l’Automobile club Champagne-Ardenne-Argonne, Jacques Simon représente une automobile de sport qui roule à travers la campagne. Son pilote casqué conduit à vive allure.

Les œuvres magistrales comme la lanterne en pendentif de la Bibliothèque Carnegie de Reims (1928) ou le bouclier lumineux du Grand théâtre (1931), l’actuel Opéra, sont sans doute les réalisations les plus connues. Mais une multitude de panneaux de verres colorés et de coupoles décoraient des banques, des grands magasins, des hôtels particuliers et des villégiatures balnéaires. La reconstruction de la ville de Reims va permettre à l’artiste Jacques Simon de créer de nombreux vitraux civils. L’actuelle grande verrière du Café du Palais à Reims passe en salle des ventes en 1983. Créée en 1928, pour une bijouterie installée rue de Talleyrand, elle mesure 4 X 3 mètres. Un ciel nuageux est traversé par des oiseaux multicolores. Il s’agit peut-être de l’illustration des « Trois oiseaux du Paradis », une des trois chansons a capella écrites par Maurice Ravel.

Une partie importante de l’œuvre de Jacques Simon est consacrée à la peinture. C’est un aspect les plus mal connus de son œuvre. Il est régulièrement présent au Salon des artistes français et dans les expositions régionales. Dans la peinture reproduite, Jacques Simon s’intéresse à l’usine métallurgique de la Compagnie des forges de Phade qui produisait des tôles ondulées et des boulons. C’est le terrain bien connu des recherches d’Agnès Paris et de notre ami René Colinet. Trois cheminées crachent leurs fumées. Le rougeoiement rappelle la fusion du métal. Nous sommes dans la vallée de la Semoy, un affluent de la Meuse, non loin du massif emblématique des Quatre fils Aymon.

Madeleine Roussin, aquarelle sur papier
Madeleine Roussin, aquarelle sur papier, signée en bas à gauche M[adeleine] Simon Roussin, non datée, non située, 12 X 19 cm. (Coll. Part.).

Depuis 1909, les Rémois Simon ont trouvé sur le plateau des Hauts-Buttés, qui domine Monthermé et la Meuse, un lieu inspirant pour travailler sur le motif. Pierre Paul, le père de Jacques a fait aménager un atelier de peintre dans une construction atypique dénommée La Ruine. Dans la décennie 1920, le couple Jacques Simon et Madeleine Roussin accompagné de leurs trois enfants vont séjourner aux Hauts-Buttés pendant la période estivale. Madeleine Roussin (1892-1978), artiste elle aussi, va représenter le même site de Phade dans un cadre plus large. Une aquarelle sur papier montre à gauche l’usine métallurgique de Phade avec les bâtiments, les toitures et les cheminées, la Semoy sur la droite et en arrière plan le massif des Quatre fils Aymon. Dans un grand format présenté au Salon de 1932 et intitulé « Vallée de la Meuse », Jacques Simon représentera les forges de Laval-Dieu et la rivière dans la brume. Il retravaille le même thème dans une huile sur carton exposé par l’Union champenoise en 1938.

Jacques Simon Reims, "Monthermé (Ardennes)", huile sur carton rigide
Jacques Simon Reims, « Monthermé (Ardennes) », huile sur carton rigide, identifiée, datée et située au dos, 23 X 35 cm. (Coll. Part.).

L’œuvre porte le numéro 118 lors de l’exposition de l’Union champenoise des Arts décoratifs en 1938. Au deuxième plan figurent à gauche, les forges de Laval-Dieu avec leurs sheds et leurs cheminées fumantes, à droite, la Meuse, au dernier plan derrière les cheminées, on devine le massif des Quatre fils Aymon. Cinq ans plus tôt, Jacques Simon avait réalisé une toile grand format de ce paysage industriel pour le Salon de 1933.


Pour aller plus loin : lire ou relire :
Claude CARTON, Semoy l’autre vallée ou chronique d’une famille industrieuse, Les éditions Mont-de-Jeux, 2012, 240 p.